Longtemps réduit au silence par le pouvoir colonial, Simon Kimbangu incarne aujourd’hui une figure centrale de la mémoire collective congolaise. Entre foi, résistance et affirmation africaine, le fondateur du kimbanguisme a su transcender les frontières du spirituel pour marquer l’histoire.
En effet, le 6 avril 1921, dans le village de Nkamba, au cœur du Kongo Central, un homme s’élève. Simon Kimbangu, alors simple catéchiste formé par les missionnaires baptistes, déclare avoir reçu une vision divine. Dès lors, celui que ses fidèles appelleront « l’envoyé spécial de Jésus-Christ » entame un ministère qui marquera à jamais la trajectoire religieuse, politique et identitaire du Congo.
Très vite, la rumeur de guérisons miraculeuses se propage. Des foules quittent les hôpitaux et les plantations pour converger vers Nkamba, bientôt surnommée « Nouvelle Jérusalem ». Mais au-delà des guérisons, c’est un discours qui dérange : Kimbangu prêche un christianisme africain, débarrassé des oripeaux coloniaux, recentré sur l’émancipation spirituelle des Noirs. Il rejette le fétichisme, la polygamie, mais aussi l’idée d’un Dieu blanc venu civiliser des peuples jugés inférieurs. Un message radical, dans un Congo belge où toute remise en question de l’ordre établi est vue comme subversive.
Une menace pour la domination coloniale
L’essor du mouvement kimbanguiste inquiète l’administration coloniale. À ses yeux, ce prophète charismatique, bien qu’ayant banni tout discours politique, incarne une dangereuse contestation de l’autorité blanche. Le 6 juin 1921, une première tentative d’arrestation échoue. Trois mois plus tard, Kimbangu se rend volontairement. Le geste est fort, presque christique. Jugé en quelques jours pour sédition, il est condamné à mort — une peine rapidement commuée en détention à perpétuité par le roi Albert Ier.
Durant trente ans, il sera maintenu en isolement à Élisabethville (aujourd’hui Lubumbashi), loin de sa terre natale, loin de ses fidèles. Il y meurt le 12 octobre 1951, sans jamais revoir Nkamba.
Le souffle d’une foi insoumise
Mais l’enfermement de l’homme ne brise pas l’élan du message. Dès les années 1950, son fils Joseph Diangienda structure le mouvement. En 1959, l’Église de Jésus-Christ sur Terre par son Envoyé Spécial Simon Kimbangu (EJCSK) est reconnue officiellement par les autorités coloniales, à la veille de l’indépendance. Aujourd’hui, cette Église rassemble plusieurs millions de fidèles, en RDC comme dans la diaspora, et rayonne jusqu’en Europe et aux États-Unis.
Le kimbanguisme, bien plus qu’une confession religieuse, est devenu un vecteur d’identité, un outil de résistance, une affirmation que le salut peut aussi porter un visage africain. Kimbangu, que d’aucuns considèrent comme un précurseur du panafricanisme spirituel, a ainsi posé les fondations d’une théologie décoloniale, bien avant l’heure.
Une reconnaissance tardive, mais assumée
Il aura fallu attendre plus d’un siècle pour que l’État congolais rende à Kimbangu la place qu’il mérite dans le panthéon national. En 2023, le président Félix Tshisekedi signe une ordonnance instituant le 6 avril comme journée fériée : « Journée du combat de Simon Kimbangu et de la conscience africaine ». Une manière de reconnaître officiellement le rôle du prophète dans l’éveil des peuples et la quête de dignité des Congolais.
Aujourd’hui, Nkamba attire chaque année des milliers de pèlerins. Le souvenir du prophète y est célébré dans une ferveur teintée d’orgueil historique. Plus qu’un lieu de culte, la ville est devenue un sanctuaire de mémoire, où spiritualité rime avec résistance.
À l’heure où les sociétés africaines s’interrogent sur les héritages de la colonisation, la figure de Simon Kimbangu gagne en pertinence. Prophète pour les uns, révolutionnaire mystique pour les autres, il demeure un symbole intemporel. Celui d’une Afrique qui, par la foi, a trouvé la force de s’opposer, de se redéfinir et de rêver sa liberté.
La Rédaction