RDC : Daniel Ngoy Mulunda, une figure contestée au cœur d’un bras de fer judiciaire et politique

RDC : Daniel Ngoy Mulunda, une figure contestée au cœur d’un bras de fer judiciaire et politique

Ancien président de la CENI et proche de Joseph Kabila, le pasteur méthodiste, de retour en RDC après une extradition controversée, cristallise les inquiétudes des ONG de défense des droits humains. Un dossier aux fortes résonances politiques.

Par notre correspondant à Kinshasa

À 65 ans, le pasteur Daniel Ngoy Mulunda refait parler de lui. L’ex-président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), ancien compagnon de route de Joseph Kabila, est de nouveau au centre d’une affaire judiciaire aux multiples facettes. Ce 9 avril 2025, plusieurs organisations congolaises de défense des droits humains – parmi lesquelles l’ASADHO, Justicia ASBL, l’ANMDH et la VSV – ont lancé un cri d’alarme, dénonçant les « conditions de détention inhumaines » imposées à l’ancien responsable électoral. Une situation qui, au-delà du cas individuel, pose une série de questions sur l’état de droit, la liberté d’expression et la persistance des clivages post-kabilistes.

Un passé électoral toujours encombrant

À la tête de la CENI entre 2011 et 2013, Ngoy Mulunda reste associé à l’un des scrutins les plus contestés de l’histoire congolaise : l’élection présidentielle de 2011, qui avait reconduit Joseph Kabila dans un climat de tensions, face à l’opposant historique Étienne Tshisekedi. Accusé de partialité, soupçonné de manipulation, il avait quitté la scène officielle sans jamais renoncer à son influence, en particulier au Katanga, fief de l’ancien régime.

C’est dans ce bastion qu’il refait surface en janvier 2021, à l’occasion d’un sermon à Lubumbashi, tenu à l’occasion des vingt ans de l’assassinat de Laurent-Désiré Kabila. Ses mots résonnent alors comme un défi lancé au pouvoir en place : dénonçant les « dérives dictatoriales » du président Félix Tshisekedi, il met en garde contre une marginalisation du Katanga et exige un respect accru pour les figures politiques locales, dont Joseph Kabila. Ses propos lui valent une condamnation à trois ans de prison pour incitation à la haine tribale et atteinte à la sûreté de l’État.

Une détention prolongée, une extradition controversée

Libéré provisoirement en septembre 2022, Mulunda trouve refuge en Zambie où il obtient le statut de réfugié politique. Mais le répit sera de courte durée. Le 18 décembre 2024, il est interpellé à Lusaka dans des circonstances floues, avant d’être extradé vers Kinshasa, dans une opération qui, selon plusieurs ONG, aurait impliqué une coopération entre services de renseignements zambiens et congolais, en contradiction avec les conventions internationales.

Depuis, l’ancien pasteur est détenu dans des conditions jugées alarmantes. Dans leur déclaration conjointe, les ONG s’insurgent : « Nous constatons avec consternation que le pasteur Daniel Ngoy Mulunda est soumis à des conditions de détention inhumaines, incompatibles avec les standards internationaux. » L’opacité de la procédure judiciaire, le manque d’accès à ses avocats et la détérioration de son état de santé nourrissent les préoccupations croissantes de la société civile.

Une affaire aux multiples lectures

L’affaire Ngoy Mulunda ne se limite pas à une dimension pénale. Elle renvoie à une guerre d’influence plus profonde entre l’actuel pouvoir et les réseaux de l’ancien président Kabila, encore actifs dans le Haut-Katanga et au sein de certaines structures institutionnelles. Si les propos du pasteur en 2021 ont pu choquer, ils ont aussi trouvé un écho chez certains partisans du « katangisme politique », un courant revendiquant une reconnaissance accrue des élites de la région.

Dans ce contexte, son extradition et sa réincarcération suscitent des interrogations sur l’usage politique de la justice. Le silence des autorités depuis son retour en RDC ne fait qu’alimenter les soupçons. Tandis que certains y voient une tentative de neutraliser une voix encore influente, d’autres craignent un précédent inquiétant pour la liberté d’expression.

Des prisons congolaises sous la loupe

Au-delà de ce cas emblématique, les ONG rappellent les dysfonctionnements chroniques du système carcéral congolais. « Le cas de Ngoy Mulunda n’est que la partie visible d’un iceberg, celui d’un appareil pénitentiaire marqué par la vétusté, la surpopulation et l’inhumanité », souligne un rapporteur de l’ASADHO. Ce dossier remet ainsi en lumière les engagements internationaux souvent ignorés par Kinshasa en matière de respect des droits des détenus.

Quel avenir pour une figure toujours clivante ?

À ce jour, aucune date de procès n’a été fixée. Entre les silences officiels, les appels à la libération, et les pressions discrètes de certains acteurs internationaux, l’avenir du pasteur reste incertain. Pour ses partisans, il est victime d’un acharnement politique ; pour ses détracteurs, il reste un agitateur opportuniste, manipulant la fibre régionaliste.

Une chose est sûre : en RDC, où le débat démocratique reste miné par les tensions héritées du passé, la trajectoire de Daniel Ngoy Mulunda continue de refléter les lignes de fracture d’un pays en quête d’équilibre entre justice, mémoire politique et réconciliation.

 

La Rédaction

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